Ernest Labadie (1855-1917)

À ce nom évoqué, tout de suite la polémique s'engage - l'un l'exècre et l'autre le loue. Sans doute sa franchise était rude et son humeur parfois revêche. Retiré dans sa tanière, disparaissant à demi derrière un rempart de livres, acculé dans un réduit qu'il s'y était ménagé, il avait l'air un peu - soit dit sans irrévérence - d'un sanglier à l'hallali, prêt à charger - mais s'il était bien disposé, si son humeur était par hasard légère, dépouillée de toute préoccupation irritante, alors il se montrait charmant, plein de bonne grâce, de complaisance, de bienveillance pour l'heureux bénéficiaire de son sourire, effet de l'humanisme sans doute et de l'amour des lettres. Nous en fîmes l'agréable et très fructueuse expérience - fructueuse car il avait l'esprit surabondamment nourri de la moëlle bibliophilique; en ce genre il savait tout, connaissait tout, et généreusement livrait sa science sans réticence et de la meilleure grâce du monde. En une heure de conversation avec lui, on acquérait un monde d'informations et l'on sortait de son logis - petit rez-de-chaussée sombre et étroit de la rue Vital-Carles - on en sortait, dis-je, abondamment fourni de documents rares et précieux.

De haute taille, le visage aux traits assez réguliers, ombré d'une barbe rarement rasée, le regard peu amène, de tenue ni élégante, ni négligée, indifférent pour son vestiaire et pour les nécessités de la vie - ermite ou moine laïque - il travaillait - se délassant de son labeur pour aller chaque dimanche chez Michelot trouver quelques confrères en bibliophileie et retrouver quelques confrères en bibliophilie et parler livres et bibelots.

Amateur passioné de livres - nous ne parlerons pas ici de son goût pour les faïences dont il avait des vitrines pleines de spécimens admirables - bibliophile érudit, minutieux, d'une conscience inattaquable - et cependant attaquée - à qui la fortune permettait de satisfaire à ses caprices, il possédait des œuvres rares, œuvres touchant à la région ! - livres, manuscrits, pièces précieuses, acquis quelquefois à gros prix - et qu'il était dangereux d'effleurer d'un doute sur leur authenticité - Labadie se faisant un point d'honneur de garantir leur origine et leur valeur.

D'où ses propos inconséquents, son dédain exprimé sans assez de mesure parfois sur l'imprudent - si modéré qu'il fût - qui eût osé émettre un doute sur l'authenticité de ces documents sélectionnés.

Tout cela n'empêche pas que Labadie fut un maître bibliophile et un grand amateur de livres et de reliures de valeur.

La mort le surprit parmi ses livres et ses collections le 28 mars 1817 et la vente de ses trésors se fit en 1918.

Nous y relevons ce qui suit:

Registres secrets du Parlement de Bordeaux, collection de Verthamon, 52 vol. in-folio, rel. en parchemin (vendue 1450 francs).

Ode virginales Maturini Almadini, de saint Jean d'Angély, le premier livre connu imprimé à Bordeaux, Gaspard Philippe, 1517 (vendues 1500 francs, acquises par la Ville de Bordeaux).

AUSONE, editio princeps, Venise, 1472 (vendue 1050 francs).

MONTAIGNE, Essais, Bordeaux, Millanges, 1580 [É.O.], reliure en veau fauve (vendus 2550 francs).

LENET, Mémoires sur la Fronde, 1729, reliure en maroquin aux armes du Cte de Mirabeau (2000 francs).

(à suivre).