Reinhold Dezeimeris (1835-1913)

[Fils d'un médecin, Jean-Eugène (1799-1851) qui fut bibliothècaire de la Faculté de médecine de Paris, Reinhold Dezeimeris mena une carrière politique, puisqu'il fut président du Conseil Général de la Gironde jusqu'en 1899, mais ce sont surtout ses activités d'érudit qui lui valent de rester dans les mémoires. Membre fondateur de la Société des Bibliophiles de Guyenne, de la Société archéologique de Bordeaux, membre correspondant de l'Institut, il consacra de nombreuses études à des auteurs de sa chère ville:

- Ausone (Notes sur la villa d'Ausone à Bordeaux, Bordeaux, Gounouilhou, 1868;

- Montaigne (il participa à l'importante édition des Essais publiée en 1870 sous l'égide de la Société des Bibliophiles de Guyenne: Bordeaux, Féret et fils, 1870-1873);

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- Pierre de Brach (Notice sur Pierre de Brach, poète bordelais du xvie siècle, Paris, Aubry, 1858);

Dès lors, nul ne sera surpris que cet esprit d'élite ait aussi possédé une belle bibliothèque, comme le montre la notice de Émile de Perceval que nous reproduisons ci-dessous].

Le savant classique, aristocrate de l'esprit. Les cheveux rejetés en arrière, la bouche ombrée d'une moustache, la barbe en pointe, les traits fins, un regard tranquille et calme; un sourire accueillant et poli. Je me le rappelle tel dans son salon, patient sous l'avalanche de mes questions, modérant mes ardeurs et s'imposant à moi par sa bonne grâce un peu distante et son indulgente maîtrise.

De petite taille pourtant, mais redressant le buste, droit et ferme, il respirait la force et l'énergie.

De fait, omniscient, éminent érudit, agriculteur plein de zèe et viticulteur savant, homme politique, s'imposant de toute manière en maître. — Égal en tous les genres, et en tous les genres supérieur. Sa modestie s'accomoda de la position honorable mais non point à sa valeur qu'il acquit sans l'avoir sollicitée, fidèle à sa province et dédaigneux de la renommée plus éclatante que lui promettait Paris.

Dezeimeris fut un philosophe antique et par voie de conséquence un homme de la Renaissance. Le xvie siècle agit sur lui souverainement. Il en subit le charme. Tout jeune encore il l'envoûta. Consciemment ou inconsciemment il en épousa les principes au risque de succomber aux dangers du rationalisme qu'il instaurait. On dit qu'il frôla le danger, qu'il y succomba même parfois, que s'il sut garder la mesure, il s'en écarta quelquefois. On le dit.

Homme d'étude et homme des champs, mêlant ces deux focntions en un étroit et harmonieux accord, un de ces éminents grecs ou latins cultivant la terre et les lettres en une alternance savante; avec la patience du rural depuis longtemps méditant un sujet, le triturant, le développant, le défaisant, pour le développer encore, tel que le laboureur fend et refend le sol, le broie longuement avant que d'y semer le grain dont la germination dans la terre retournée, ameublie, s'opérera peu à peu, fructueuse, complète, parfaite.

Tel il pratiqua pour ses champs, tel il pratiqua pour ses œuvres d'érudition, tel il agit - souvent à faux - convenons-en - dans ses manifestations politiques. Membre et Président du Conseil général pendant une longue suite d'années (depuis 1877), imbu jusqu'à l'exagération des principes des maîtres de la pensée, il demeura exclusif dans ses relations quotidiennes, consacrées à son clan d'amis.

Et pour justifier les termes de cet ex-libris, il fit sa collection riche en poètes et en auteurs grecs:

• 40 éditions en beaux exemplaires d'HÉSIODE - Traductions en vers de Le Blanc, d'Aneau et de Le Gras, Paris-Lyon, 1547, 1571 et 1587, extrêmement rares.

Poetae minores Graeci, 1804-1820 - Exemplaire de Sainte-Beuve, avec des notes de sa main (vendu 100 francs).

HOMÈRE, texte grec et traduction latine, Glasgow, 1814, exemplaire dans une superbe reliure en maroquin, par Doll (vendu 170 francs).

La Mesnagerie de XÉNOPHON, traduction de La Boétie, suivie de vers français du même, Paris, 1571-1572, relié en basane, imprimerie Frédéric Morel. Deux parties in-8, avec notes attribuées à Montaigne (320 francs).

Les Amours et le Ravissement d'Europe, de BAÏF, Paris, chez la Vve de Maurice de la Porte, 1562, 1 vol. pet. in-8 dans une reliure ancienne en vélin (405 francs).

VIRGILE, Œuvres complètes, en 3 volumes maroquin rouge ancien par Derôme (280 francs).

• Le Dictionnaire historique et critique de Pierre BAYLE, 4 vol. in-folio, reliés en maroquin rouge, aux armes de Nicolas Alexandre de Ségur, Président à mortier au Parlement de Bodeaux (350 francs; il l'avait acquis pour 30 francs chez le bouquiniste Trifou).

BAYLE, La Défense et illustration de la langue française, 1549, exemplaire de Sainte-Beuve, avec des notes de sa main.

• Pierre TRICHER, Poèmes latins, É.O. en maroquin vert tendre (255 francs).

• Éditions originales des Poèmes de Pierre de BRACH, exemplaire de Pierre Trichet (260 francs, adjugé à la ville de Bordeaux). Un deuxième exemplaire de la même édition avec corrections de Simon Millanges, 1576, incomplet mais contenant de nombreux feuillets manuscrits de l'auteur (220 francs).

Et pour finir, les deux exemplaires, admirables, bouquets de cette bibliothèque - pièce capitale dont j'ai parlé par ailleurs.

Les Anas et chroniques de France de Nicole Gilles, Paris, Guillaume Lenoir, 1562, 2 tomes en un volume, in-folio, figures sur bois, vélin. Précieux exemplaire ayant appartenu à Montaigne, avec sa signature sur le titre et plus de cent cinquante notes de sa main (vendu 4700 francs).

AUSONEŒuvres, Bordeaux, Simon Millanges, 1575-1580, un ouvrage en deux tomes (le premier en maroquin rouge, contenant les œuvres du poète, le second en vélin, consacré aux savants commentaires d'Élie Vinet) aux armes de Jacques Auguste de Thou et portant, sur le dos, son chiffre (vendu 700 francs, acquis par la Bibliothèque Municipale de Bordeaux).

Tout cela pour la première vente 1914, dont le produit total fut de 22 932 francs et 50 centimes pour 1213 numéros.

Quant à la seconde, elle se fit longtemps après, en février 1920, et sans catalogue. Dès lors, nous n'avons que des renseignements insuffisants sur elle. Les souvenirs de la famille, des assistants sont désespérément vagues. Nous avons pu savoir seulement que parmi ce surplus des richesses bibliographiques de Dezeimeris, il fut vendu un volume (lequel ?) ayant appartenu à Montaigne et portant des notes de lui avec sa signature, et que furent exclus de la vente et réservés deux magnifiques exemplaires des Fables de LA FONTAINE, illustrés par Granville, 250 planches tirées sur Chine volant, cartonnage, tranches dorées, couvert, qui tous deux furent gracieusement offerts par Mme Dezeimeris, veuve du regretté disparu, le premier au Dr Armaingaud, le second à un bibliophile connu, dont le nom doit rester ignoré.

[On se plaît à décrire les bibliophiles comme des êtres lunaires, dépourvus de tout sens pratique. Ce ne fut certes pas le cas de Dezeimeris, qui exploitait une grosse propriété viticole et qui fut le cofondateur du Bulletin du comice agricole de Cadillac: il essaya de résister vigoureusement aux ravages du phyloxéra].

Étrange aberration chez cet esprit d'élite que l'incompréhension d'idées que son cerveau n'avait pas digérées. Courtois, affable, correct avec tous ses amis, bienfaisant même, il demeurait distant, réservé, d'une hostilité sourde avec les autres, réduisant ainsi fâcheusement le nombre de ses admiateurs, - mêlé à des intrigues de bourg, à de petits vengeances mesquines, à des rivalités indignes de lui; côté de sa vie que, poru être sincère, nous ne pouvions pas négliger, mais qui font d'autant mieux ressortir les mérites de l'homme de lettres dont la mémoire est pure de toutes ces petites souillures. N'insistons pas, jetons un voile.

Avant tout et plus que tout, heureusement pour lui et pour nous, Dezeimeris fut un bibliophile. D'autre part, possesseur d'un domaine rural, à Loupiac, il s'y consacrait avec le goût et la passion d'un de ces anciens Romains, je le répète, propriétaire de ces villas dont les débris jonchent encore le sol des collines qui bordent la Garonne, villas d'Ausone, de tant d'autres dont il fut le digne successeur en ces lieux et qui exercèrent sa sagacité de savant et ses dons rares d'érudit.

Ainsi les œuvres sont abondantes de ses heures de méditation - lentement conçues, lentement traduites, mais fouillées, impeccablement étudiées et définitives - forçant ainsi, on peut le dire, par sa ténacité, sa patience et ses qualités de chercheur, forçant les secrets du Destin - témoin le jour où marqué d'une croix il eut la bonne fortune de découvrir un manuscrit de Pierre de Brach qu'il publia avec les œuvres poétiques du même auteur, enrichissant cette édition de savantes notes qui doublent la valeur de l'ouvrage.

Et cet autre jour où il découvrit la source du Jeune malade d'André Chénier dans le roman versifié du byzantin Théodore Prodome !

Et cet autre jour encore où, parmi des débris de papier, avec un flair singulier, il mit la main sur les Anas et Chroniques de Nicole Gilles, en deux volumes, commentés par Michel Montaigne.

Véritable don divinatoire, don du chercheur, de l'érudit, sans cesse à l'affût de trésors inconnus qui se livrent à lui comme au plus digne, au plus capable de les goûter et d'en faire goûter la saveur.

Figure antique, figure de la Renaissance, figure de l'un des derniers représentants, sous la réserve que j'ai dite - disciple de Théodore de Brach, de Scaliger, d'Érasme, de ROnsard, helléniste discret et fervent d'Hésiode, on le voit peint par Holbein - reflétant sur son visage son esprit délicat et sa philosophie mûrie.

Et la preuve en sera donnée par l'extrait suivant de la liste des livres acquis par lui pour former sa bibliothèque, et celle aussi de ses œuvres personnelles.

Et d'abord il les voulait de bonne tenue et le plus intact possible, ses livres, dignes de son nom, qu'il inscrivait dessus, en face de sa jolie devise:

Ou chehêseôs alla chrhêseôs charin.

Et pour justifier les termes de cet ex-libris, il fit sa collection riche en poètes et en auteurs grecs:

• 40 éditions en beaux exemplaires d'HÉSIODE - Traductions en vers de Le Blanc, d'Aneau et de Le Gras, Paris-Lyon, 1547, 1571 et 1587, extrêmement rares.

Poetae minores Graeci, 1804-1820 - Exemplaire de Sainte-Beuve, avec des notes de sa main (vendu 100 francs).

HOMÈRE, texte grec et traduction latine, Glasgow, 1814, exemplaire dans une superbe reliure en maroquin, par Doll (vendu 170 francs).

La Mesnagerie de XÉNOPHON, traduction de La Boétie, suivie de vers français du même, Paris, 1571-1572, relié en basane, imprimerie Frédéric Morel. Deux parties in-8, avec notes attribuées à Montaigne (320 francs).

Les Amours et le Ravissement d'Europe, de BAÏF, Paris, chez la Vve de Maurice de la Porte, 1562, 1 vol. pet. in-8 dans une reliure ancienne en vélin (405 francs).

VIRGILE, Œuvres complètes, en 3 volumes maroquin rouge ancien par Derôme (280 francs).

• Le Dictionnaire historique et critique de Pierre BAYLE, 4 vol. in-folio, reliés en maroquin rouge, aux armes de Nicolas Alexandre de Ségur, Président à mortier au Parlement de Bodeaux (350 francs; il l'avait acquis pour 30 francs chez le bouquiniste Trifou).

BAYLE, La Défense et illustration de la langue française, 1549, exemplaire de Sainte-Beuve, avec des notes de sa main.

• Pierre TRICHER, Poèmes latins, É.O. en maroquin vert tendre (255 francs).

• Éditions originales des Poèmes de Pierre de BRACH, exemplaire de Pierre Trichet (260 francs, adjugé à la ville de Bordeaux). Un deuxième exemplaire de la même édition avec corrections de Simon Millanges, 1576, incomplet mais contenant de nombreux feuillets manuscrits de l'auteur (220 francs).

Et pour finir, les deux exemplaires, admirables, bouquets de cette bibliothèque - pièce capitale dont j'ai parlé par ailleurs.

Les Anas et chroniques de France de Nicole Gilles, Paris, Guillaume Lenoir, 1562, 2 tomes en un volume, in-folio, figures sur bois, vélin. Précieux exemplaire ayant appartenu à Montaigne, avec sa signature sur le titre et plus de cent cinquante notes de sa main (vendu 4700 francs).

AUSONEŒuvres, Bordeaux, Simon Millanges, 1575-1580, un ouvrage en deux tomes (le premier en maroquin rouge, contenant les œuvres du poète, le second en vélin, consacré aux savants commentaires d'Élie Vinet) aux armes de Jacques Auguste de Thou et portant, sur le dos, son chiffre (vendu 700 francs, acquis par la Bibliothèque Municipale de Bordeaux).

Tout cela pour la première vente 1914, dont le produit total fut de 22 932 francs et 50 centimes pour 1213 numéros.

Quant à la seconde, elle se fit longtemps après, en février 1920, et sans catalogue. Dès lors, nous n'avons que des renseignements insuffisants sur elle. Les souvenirs de la famille, des assistants sont désespérément vagues. Nous avons pu savoir seulement que parmi ce surplus des richesses bibliographiques de Dezeimeris, il fut vendu un volume (lequel ?) ayant appartenu à Montaigne et portant des notes de lui avec sa signature, et que furent exclus de la vente et réservés deux magnifiques exemplaires des Fables de LA FONTAINE, illustrés par Granville, 250 planches tirées sur Chine volant, cartonnage, tranches dorées, couvert, qui tous deux furent gracieusement offerts par Mme Dezeimeris, veuve du regretté disparu, le premier au Dr Armaingaud, le second à un bibliophile connu, dont le nom doit rester ignoré.

[On se plaît à décrire les bibliophiles comme des êtres lunaires, dépourvus de tout sens pratique. Ce ne fut certes pas le cas de Dezeimeris, qui exploitait une grosse propriété viticole et qui fut le cofondateur du Bulletin du comice agricole de Cadillac: il essaya de résister vigoureusement aux ravages du phyloxéra].